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Régine : l'hôtesse des pèlerins

Régine : l'hôtesse des pèlerins






Aveyron - reportage LADEPECHE.FR




Dans son antre Régine veille sur son monde : pèlerins comme habitués./Photo DDM
Dans son antre Régine veille sur son monde : pèlerins comme habitués./Photo DDM

S'aventurer sur le chemin de Saint Jacques, alors que le plateau de l'Aubrac ouvre grand ses ailes du désir, c'est comme déchirer une pochette-surprise. La part de loterie est grande, surtout lorsque la fin de journée arrivant, on se met en quête d'un lieu de repos pour pieds usés. Entre Aumont-Aubrac et Nasbinals, la découverte de cette pépite de l'insolite « Chez Régine » écarquille les pupilles. L'estaminet de poche dégage une ambiance Bagdad Café, made in Aubrac. Autour du zinc, le regard croise quelques gueules tout droit sorties de « Deliverance ». Une sorte de bout du monde hors du temps.
Dans la cuisine, on entend les coulemelles frétiller sur le gaz. « Pour les cèpes, cette année, c'est pas ça », peste Régine, la maîtresse de lieux, son éternelle Winston collée au bec. Chez elle, la traque des aristos des sous-bois tient du rituel automnal. Quand elle arrive à s'échapper. Car entre les piliers arrimés au zinc à la croisée des Quatre Chemins et les pèlerins enivrés de fatigue se jetant dans son gîte, la madone ne sait plus sur quel pied danser la gigue. « Et puis j'ai aussi les bêtes… », soupire-t-elle en lorgnant sur ses Aubrac aux yeux peints.
Le sourire gourmand, un octogénaire du plateau, tout en soufflant sur la mousse du houblon, s'amuse en regardant en coin un pèlerin griffonner des notes sur son carnet à spirales. Cette cohabitation et des tas d'autres détails croustillants font de « Chez Régine » un lieu teinté de surréalisme. « Certains ne veulent pas s'arrêter chez moi, parce que j'ai mes poules dans la cuisine et parce qu'il paraît que c'est sale », s'emporte la dame au grand cœur, « eh bien qu'ils aillent voir ailleurs ». Pas touche à des gallinacés auxquels elle tient comme à la prunelle de son regard de verre. Pas plus qu'elle n'accepte la moindre réflexion sur la manière de tenir son antre. Régine, on l'aime ou on la quitte.
Sur le « camino », elle compte ses pros et ses antis. Les seconds informés le plus souvent par la seule rumeur qui court du Puy jusqu'à Conques. Le débat, s'il devait avoir lieu, tournerait vite à l'eau de boudin. Les premiers s'avérant si majoritaires qui, s'ils l'osaient, transformeraient les lieux en république bananière. Sur le mur, entre quelques citations maison comme celle-ci « quand le coucou chante en avril, c'est que mars est fini », trône un cliché où Régine pose aux côtés de Jean-Pierre Raffarin. Elle se la joue modeste, l'hôtesse des Quatre Chemins. « Raffarin, il est très sympa. Mais j'ai aussi reçu Poivre d'Arvor et Charlotte de Turkeim. Par contre il y en a un qui s'est fait passer pour Tapie ; il lui ressemblait, mais derrière ses lunettes noires, je ne suis toujours pas sûre que c'était lui… » D'un grand éclat de rire guttural, elle prend les habitués à témoin : « ça ne l'a pas empêché de payer à boire à tous les clients… ». Un cœur gros comme ça, posé sur sa main, Régine se couperait en quatre pour rendre service. Jusqu'à devenir parfois le dindon de la farce de quelques pseudos pèlerins soi-disant désargentés, mais surtout plus grivois qu'honnêtes. Si raconter quelques mésaventures de ce type crispe son visage sec, la forte dose d'humanité qu'elle porte en elle ne succombe pas. Lorsque les chambres de son gîte d'étape affichent complet, Régine prête sa caravane ou ouvre gratuitement son pré aux canadiennes. « C'est normal », consent-elle, « sauf qu'une fois, on m'a dit que ma caravane était une maison de passe… » Ce qui ne l'a pas amusé du tout.
Ce matin, une légère gelée a blanchi le plateau. « Pour les pèlerins c'est la fin », soupire-t-elle. Sur l'étagère des alcools, la statuette de Santiago est en berne. Pour revoir ses apôtres, il devra attendre que le coucou rechante.
Jean-Paul Couffin