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La coquille à Saint-Jacques-de-Compostelle

Pour quelle raison associe-t-on une coquille à Saint-Jacques-de-Compostelle ?
La coquille est symbole d'Amour. Elle protège des mauvais sorts et des maladies. On en place en ornement ou offrande mortuaire. On en a retrouvé à Paris dans les tombes d'un cimetière mérovingien. Mais comment est-elle insigne des pèlerins?

Denise Péricard-Méa
fondation david parou saint-jacques

18 octobre 2003
Au XIIe siècle, la coquille expliquée par Compostelle



Extrait du Veneranda dies, sermon du Codex Calixtinus,
traduction Bernard Gicquel, professeur honoraire, faculté du Maine.


«Les pèlerins qui reviennent de Compostelle rapportent des coquilles, qui signifient les bonnes oeuvres? Il y a dans la mer de Saint-Jacques des poissons communément appelés vieiras qui ont sur deux côtés des protections en forme de coquilles, entre lesquelles se cache un poisson analogue à l?huître. Les valves de la coquille sont formées comme les doigts d?une main (les Provençaux les nomment nidulas, et les Français crousilles). Les pèlerins les fixent au retour du tombeau de saint Jacques à leurs capes en l?honneur de l?apôtre comme en son souvenir et les rapportent avec grande joie chez eux en signe de leur long périple. Les deux valves du coquillage représentent les deux préceptes de l?amour du prochain auxquels celui qui les porte doit conforter sa vie, à savoir aimer Dieu plus que tout et son prochain comme soi-même? les valves qui sont disposées à la façon des doigts désignent les bonnes oeuvres dans lesquelles celui qui les porte doit persévérer. Et les bonnes oeuvres sont joliment désignées par les doigts, parce que c?est par eux que nous opérons lorsque nous faisons quoi que ce soit. Ainsi, de même que le pèlerin porte la coquille tant qu?il est sur le chemin de l?apôtre, de même il doit se soumettre aux commandements du Seigneur».

La coquille insigne de pèlerinage


On a retrouvé à Paris des coquilles dans les tombes d'un cimetière mérovingien, bien avant la découverte du tombeau de saint Jacques à Compostelle. La coquille est certes vendue à Compostelle au XIIe siècle, mais elle l'est également ailleurs, en particulier au Mont Saint-Michel. En 1377 encore, lorsque l'Empereur Charles IV vient en visite à Paris en 1377, le roi lui "envoie des coquilles parce qu'il est pèlerin (1);", ce qui indique bien que la coquille est encore un insigne commun à tous les pèlerins.

Progressivement pourtant, les représentations iconographiques de l'apôtre saint Jacques adjoignent systématiquement une coquille, qui sur la besace, qui sur le chapeau. En 1490, les toulousains identifient de cette façon une tête peinte à fresque comme étant celle de "saint Jacques pour ce que au front a une coquille (2);".

A partir du XVIe siècle, il semble que les pèlerins de Compostelle, plus nombreux qu'ils n'ont jamais été, augmentent considérablement le nombre de coquilles qu'ils portent sur leur costume. C'est ce que souligne ce dialogue des Colloques d'Erasme (3) ; écrits en ce début du XVIe siècle :
" - Comme tu as un aspect étrange ! couvert de coquilles imbriquées, tout garni d'images d'étain et de plomb, paré de colliers de paille. A tes doigts pendille un rosaire auquel est accrochée une série de serpents.
- Je suis allé chez saint Jacques de Compostelle "
Aucun rituel de pèlerinage ne mentionne la coquille parmi les insignes remis au pèlerin, pour la bonne raison qu'à l'origine, dit-on, le pèlerin devait lui-même ramasser sa coquille sur les plages...Dit-on...car les textes ne parlent que de coquilles-souvenirs vendues sur les lieux pèlerins, parfois bien éloignés de la mer : coquilles naturelles, peintes ou reproduites en métal plus ou moins précieux.

L'un des 23 miracles (4); accomplis par saint Jacques à Compostelle attribue à cette coquille des vertus curatives : un chevalier atteint d'une affection de la gorge est guéri par l'imposition de la coquille d'un pèlerin sur la partie malade.

Puis, au XVIIIe siècle, dans les premières classifications des espèces animales, le coquillage en question reçoit le nom de coquille Saint-Jacques, ce qui détermine la systématisation de l'alliance de la coquille au pèlerinage de Compostelle.





La coquille sur le costume de l'ancien pèlerin de Saint-Jacques

En 1459 à Cordes, chaque confrère de la confrérie Saint-Jacques doit porter " jammeta, coquille et bourdon ".
En 1513 à Toulouse chacun d'eux porte un " chapeau avec les enseignes de Mgr. saint Jacques, à savoir une coquille et un saint Jacques ".

Coquille et héraldique


Les coquilles sont des meubles héraldiques très fréquents, accompagnés ou non d'autres meubles.

1) Il est rare que la coquille ait un lien direct avec un pèlerinage à Compostelle d'un membre de la famille ainsi "blasonnée". C'est le cas de Jean de Coucy-Bosmont, cadet de la branche Coucy-Vervins qui, à son retour de Compostelle en 1280 surbrisa le "bâton" qui était déjà dans les armes de ses pères et le transforma en une bande chargée de 3 coquilles (5).

2) D'autres fois, la coquille correspond à une tradition familiale, sans que l'on sache vraiment si un membre de la famille est réellement allé à Compostelle. Voici l'exemple, la famille du chroniqueur Philippe de Commynes (1445-1511) :

- En 1246 un ancêtre fonde une chapellenie en l'honneur de saint Jacques dans l'hôpital de la ville de Commynes. Plus tard, on y trouve un hôpital Saint-Jacques

- En 1416, Jean de Commynes, oncle du chroniqueur, figure comme futur pèlerin de Compostelle sur la liste des sauf-conduits accordés par la couronne d'Aragon... Haut bailli de Flandre, chevalier de la Toison d'Or, ses armes sont " d'azur au chevron d'or accompagné de 3 coquilles d'argent " (7). Son frère Colard possédait un sceau marqué des mêmes meubles.

- Les armes de Philippe de Commynes sont d'un dessin identique mais d'or, et de couleur différente " de gueule au chevron d'or, accompagné de 3 coquilles de même ". On ne sait pas s'il est allé à Compostelle mais il en a annoncé son intention (8);. Son monument funéraire conservé au Louvre est abondamment orné de ces armes.

3) Dans d'autres cas, une croisade à Jérusalem peut être à l'origine des coquilles posées sur la croix.
Ainsi, les armoiries de la famille de Grailly (en Médoc).





La coquille sur les linteaux de portes

Traditionnellement mais sans fondement réel au moins pour le Moyen Age, elle est supposée indiquer des auberges (sauf s'il s'agit d'une auberge de la Coquille) ou des maisons d'anciens pèlerins. En 1513, les statuts de la confrérie Saint-Jacques de Toulouse font obligation aux confrères de marquer le linteau de leur porte avec une coquille. Si le confrère change de maison ou si la coquille est rompue, il doit remettre cette coquille.

Où l'on retrouve la coquille du pèlerin

Il est intéressant de noter que la coquille du pèlerin, non spécifique de Compostelle, est utilisée par les papetiers et par les imprimeurs.

Elle se retrouve dans les livres:
- en filigrane dans le papier(12) Les plus anciens papiers portant en filigrane une coquille sont italiens (1375). Ils sont, en raison de leur emblème, appelés pellegrino. Le pèlerin y est représenté avec son bâton terminé par un crochet auquel il pouvait suspendre sa gourde. Ces filigranes se sont ensuite diffusés un peu partout.
- en faute typographique sur le papier
Le mot employé comme synonyme de "faute d'imprimerie" apparaît pour la première fois en 1723. Aucune explication n'a valeur de certitude :
- l'une suppose qu'à l'origine, l'imprimeur allait de ville en ville colporter les produits de son art, et les attributs du pèlerin devenaient les siens : la coquille étant emblème de purification, il utilise le mot pour désigner la faute à corriger(13)
- une autre conjecture qu'elle vient de l'ancienne locution vendre ses coquilles synonyme de tromper, d'où l'idée d'erreur
- une autre encore qu'elle fait allusion aux coquilles portées par les faux pèlerins, les coquillards.

Notes
1 - Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, éd. Delachenal, Paris, 1916, t. II, p.269.
2 - A.rch.; dép. Haute-Garonne, E. 834, fol. 28
3 - Erasme, Les colloques, éd. Jarl-Priel, 4 vol. Paris, 1934, t. II, p. 9-64.
4 - Miracle XII, éd. M. de Menaca, Nantes, 1987
5 - Lalouette, V., Traité des nobles, 1535
6 - Vielliard, J., Pèlerins d'Espagne à la fin du Moyen Age, Homenatge a Antoni Rubio et Lluch, Barcelone, 1936, t. II, p.265-300.
7 - Pastoureau, M., Mérindol, Ch., Chevaliers de la Toison d'Or, Paris, Léopard d'Or, 1986
8 - Philippe de Commynes, Mémoires, éd. M. Dupront, Paris, 1848, t. 3, " Preuves ", p. XXXIII.
9 - Paris, Arch. Nationales, service des sceaux n°11 455
9b - Dom Morin, histoire générale des pays du Gâtinais, Paris, 1630, rééd. 1883, pages 23 et 94.
10 - Babelon J., Pisanello, Paris, 1931, p.37
11 - Conservé au musée Saint-Vic
12 - Briquet, Ch-M., Les filigranes, Dictionnaire historique des marques du papier, Paris, 1907, 4 vol., t. II
Glénisson Jean, dir. Le livre au Moyen Age, Paris, C.N.R.S., 1988